Pour commencer, pourriez-vous nous présenter le Health Data Hub ?
Pr Roman-Hossein Khonsari : Cette structure publique mise au service de la recherche entend favoriser la réutilisation des données de santé secondaires et a, à cet égard, permis de franchir des jalons importants en moins de quatre années d’existence. Pas moins de 89 projets ont par exemple été accompagnés à ce jour, dont 60 utilisent la plateforme technologique du Hub et émanent, pour moitié, des établissements hospitaliers eux-mêmes. Mais le HDH se positionne aussi comme un guichet unique venant en appui aux porteurs de projets, et a déjà, ici aussi, plusieurs succès à son actif. En particulier, nous avons travaillé étroitement avec la communauté médico-soignante pour formaliser la constitution d’Entrepôts de Données de Santé (EDS), qui s’inscrivent désormais dans une véritable doctrine soutenant l’idée qu’il s’agit de biens publics.
Cette position semble désormais partagée à plus large échelle…
Nos actions, combinées à celles d’autres acteurs institutionnels, se sont en effet traduites par des efforts majeurs dans les modalités de financement des EDS. Il y a deux ans seulement, entre 3 et 5 millions d’euros leur étaient dédiés à l’échelle nationale. Aujourd’hui, c’est une enveloppe de 75 millions d’euros qui est allouée à la constitution et la pérennisation des EDS. Six lauréats ont déjà été sélectionnés dans le cadre d’un premier appel à projets, et les lauréats de la deuxième vague devraient être désignés d’ici quelques mois. À terme, les données de ces entrepôts pourraient être mises à disposition des chercheurs via le HDH, dont le catalogue de données inclut déjà l’une des bases médico-administratives les plus complètes et homogènes au monde – à savoir le Système National des Données de Santé (SNDS). Pour aller toujours plus loin, nous réfléchissons également à l’opportunité de répliquer cette démarche pour les registres.
Qu’entendez-vous par là ?
Les registres existant aujourd’hui en France sont généralement issus d’initiatives individuelles, et nécessitent d’importants moyens afin d’assurer leur mise en œuvre. Nous aimerions donc qu’eux aussi bénéficient d’un financement pérenne, et avons récemment constitué un groupe de travail pour soutenir cet objectif à notre sens prioritaire. Parmi nos autres pistes de réflexion pour les mois à venir, j’évoquerai aussi les travaux du Hub autour de l’exploitation des données de santé mentale, ou encore de celle des données génomiques, un sujet dont les retombées seront potentiellement majeures sur le plan scientifique et social.
Quid de vos travaux dans le cadre du projet-pilote de l’EHDS, l’Espace européen des données de santé ?
Le consortium européen mené par le Health Data Hub a effectivement été sélectionné en juillet 2022 pour mener ce projet-pilote à bien. La constitution de l’EHDS se fera donc selon des principes familiers – guichet unique, plateforme commune sécurisée, etc. – pour valoriser la réutilisation des données de santé. Cette question de la valorisation est importante. Par exemple, bien que le HDH soit une structure publique, nous n’avons pas d’a priori sur la nature des porteurs de projets. Tant que les autorisations nécessaires ont été obtenues en amont auprès de la CNIL et du CESREES, le Comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé, nous accompagnons les porteurs en cherchant à cadrer les travaux de manière à ce que chaque partie y trouve un bénéfice. Nous sommes en effet convaincus que l’intérêt général peut aussi émaner de projets privés : par exemple, répliquées au sein du HDH, les données pharmacologiques issues des études sur le médicament, ou les données environnementales acquises via des dispositifs médicaux connectés, pourraient servir d’autres projets de recherche.
Le HDH accorde également une attention forte aux patients, qui représentent in fine la source primaire des données de santé.
Les patients doivent, naturellement, être dès le départ impliqués dans les processus liés à la réutilisation de leurs données de santé. Le HDH entretient à ces égard des liens importants avec des associations comme France Assos Santé, et dispose également d’une direction citoyenne notamment chargée de produire des supports pédagogiques à destination du grand public. Elle prend également part à des actions thématiques, comme la consultation européenne TEHDAS qui avait cherché à identifier les freins potentiels liés à l’EHDS ou, plus récemment, la conférence de consensus organisée à Parisanté Campus sur la place des citoyens dans la réutilisation des données de santé. Un document est d’ailleurs en cours de production sur le sujet.
Au-delà de la population générale, avez-vous identifié des écueils particuliers au sein des établissements de santé ?
Le premier frein est sans surprise d’ordre financier : les EDS sont des structures importantes mais fragiles, car leur modèle économique est difficile à construire. C’est pourquoi nous avons soutenu l’idée qu’il s’agit de biens publics, de trésors nationaux, et qu’ils doivent à ce titre être soutenus au niveau institutionnel pour assurer leur survie à long terme. Donc ce premier écueil est en train d’être levé, même si des progrès restent à faire. Il subsiste, en revanche, des freins psychologiques et culturels liés au partage des données en tant que tel. La communauté médico-soignante a encore un réflexe propriétaire, qui peut certainement s’expliquer par le fait que la constitution des bases de données a historiquement reposé sur un travail individuel, comme nous l’avons évoqué avec les registres. Il faut donc trouver le moyen de soutenir les efforts de ces créateurs, nous revenons donc à cette nécessaire valorisation dont nous parlions plus haut.
Que préconisez-vous ?
Les porteurs de projets, qu’il s’agisse de registres ou d’EDS, doivent non seulement pouvoir être soutenus financièrement par l’État – avec à terme l’obligation de faire entrer leurs données dans le champ public, via un accès par la CNIL et le CESREES –, mais aussi voir leurs efforts valorisés, par exemple lorsque leurs bases de données sont elles-mêmes réutilisées. Il n’existe pas, aujourd’hui, de système permettant de citer officiellement l’utilisation d’une base afin de la rémunérer en retour, comme cela se fait dans le cadre des points SIGAPS. Pourquoi ne pas mettre en place une approche équivalente ? L’on pourrait ainsi créer un cercle vertueux, à la fois en termes de partage de données que de contrôle et de structuration des bases existantes. L’implication des soignants dans la collecte des données sera par ailleurs elle aussi indirectement valorisée, autre point essentiel car, rappelons-le, la constitution de ces bases de données est plus que jamais devenue un devoir éthique.
Le mot de la fin ?
Vous l’aurez compris, au-delà d’être une plateforme sécurisée et à l’état de l’art, un guichet unique pour l’accès aux données de santé et un catalogue de données utilisables pour la recherche et le pilotage, le Health Data Hub se mobilise pour faire avancer la réflexion, en cherchant à débloquer les points identifiés comme critiques afin que, justement, la réutilisation des données secondaires de santé puisse être effectuée à tous les niveaux, y compris sur le plan politique pour nourrir et guider les démarches de santé publique.
Article publié dans l'édition de mai 2023 d'Hospitalia à lire ici.
Pr Roman-Hossein Khonsari : Cette structure publique mise au service de la recherche entend favoriser la réutilisation des données de santé secondaires et a, à cet égard, permis de franchir des jalons importants en moins de quatre années d’existence. Pas moins de 89 projets ont par exemple été accompagnés à ce jour, dont 60 utilisent la plateforme technologique du Hub et émanent, pour moitié, des établissements hospitaliers eux-mêmes. Mais le HDH se positionne aussi comme un guichet unique venant en appui aux porteurs de projets, et a déjà, ici aussi, plusieurs succès à son actif. En particulier, nous avons travaillé étroitement avec la communauté médico-soignante pour formaliser la constitution d’Entrepôts de Données de Santé (EDS), qui s’inscrivent désormais dans une véritable doctrine soutenant l’idée qu’il s’agit de biens publics.
Cette position semble désormais partagée à plus large échelle…
Nos actions, combinées à celles d’autres acteurs institutionnels, se sont en effet traduites par des efforts majeurs dans les modalités de financement des EDS. Il y a deux ans seulement, entre 3 et 5 millions d’euros leur étaient dédiés à l’échelle nationale. Aujourd’hui, c’est une enveloppe de 75 millions d’euros qui est allouée à la constitution et la pérennisation des EDS. Six lauréats ont déjà été sélectionnés dans le cadre d’un premier appel à projets, et les lauréats de la deuxième vague devraient être désignés d’ici quelques mois. À terme, les données de ces entrepôts pourraient être mises à disposition des chercheurs via le HDH, dont le catalogue de données inclut déjà l’une des bases médico-administratives les plus complètes et homogènes au monde – à savoir le Système National des Données de Santé (SNDS). Pour aller toujours plus loin, nous réfléchissons également à l’opportunité de répliquer cette démarche pour les registres.
Qu’entendez-vous par là ?
Les registres existant aujourd’hui en France sont généralement issus d’initiatives individuelles, et nécessitent d’importants moyens afin d’assurer leur mise en œuvre. Nous aimerions donc qu’eux aussi bénéficient d’un financement pérenne, et avons récemment constitué un groupe de travail pour soutenir cet objectif à notre sens prioritaire. Parmi nos autres pistes de réflexion pour les mois à venir, j’évoquerai aussi les travaux du Hub autour de l’exploitation des données de santé mentale, ou encore de celle des données génomiques, un sujet dont les retombées seront potentiellement majeures sur le plan scientifique et social.
Quid de vos travaux dans le cadre du projet-pilote de l’EHDS, l’Espace européen des données de santé ?
Le consortium européen mené par le Health Data Hub a effectivement été sélectionné en juillet 2022 pour mener ce projet-pilote à bien. La constitution de l’EHDS se fera donc selon des principes familiers – guichet unique, plateforme commune sécurisée, etc. – pour valoriser la réutilisation des données de santé. Cette question de la valorisation est importante. Par exemple, bien que le HDH soit une structure publique, nous n’avons pas d’a priori sur la nature des porteurs de projets. Tant que les autorisations nécessaires ont été obtenues en amont auprès de la CNIL et du CESREES, le Comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé, nous accompagnons les porteurs en cherchant à cadrer les travaux de manière à ce que chaque partie y trouve un bénéfice. Nous sommes en effet convaincus que l’intérêt général peut aussi émaner de projets privés : par exemple, répliquées au sein du HDH, les données pharmacologiques issues des études sur le médicament, ou les données environnementales acquises via des dispositifs médicaux connectés, pourraient servir d’autres projets de recherche.
Le HDH accorde également une attention forte aux patients, qui représentent in fine la source primaire des données de santé.
Les patients doivent, naturellement, être dès le départ impliqués dans les processus liés à la réutilisation de leurs données de santé. Le HDH entretient à ces égard des liens importants avec des associations comme France Assos Santé, et dispose également d’une direction citoyenne notamment chargée de produire des supports pédagogiques à destination du grand public. Elle prend également part à des actions thématiques, comme la consultation européenne TEHDAS qui avait cherché à identifier les freins potentiels liés à l’EHDS ou, plus récemment, la conférence de consensus organisée à Parisanté Campus sur la place des citoyens dans la réutilisation des données de santé. Un document est d’ailleurs en cours de production sur le sujet.
Au-delà de la population générale, avez-vous identifié des écueils particuliers au sein des établissements de santé ?
Le premier frein est sans surprise d’ordre financier : les EDS sont des structures importantes mais fragiles, car leur modèle économique est difficile à construire. C’est pourquoi nous avons soutenu l’idée qu’il s’agit de biens publics, de trésors nationaux, et qu’ils doivent à ce titre être soutenus au niveau institutionnel pour assurer leur survie à long terme. Donc ce premier écueil est en train d’être levé, même si des progrès restent à faire. Il subsiste, en revanche, des freins psychologiques et culturels liés au partage des données en tant que tel. La communauté médico-soignante a encore un réflexe propriétaire, qui peut certainement s’expliquer par le fait que la constitution des bases de données a historiquement reposé sur un travail individuel, comme nous l’avons évoqué avec les registres. Il faut donc trouver le moyen de soutenir les efforts de ces créateurs, nous revenons donc à cette nécessaire valorisation dont nous parlions plus haut.
Que préconisez-vous ?
Les porteurs de projets, qu’il s’agisse de registres ou d’EDS, doivent non seulement pouvoir être soutenus financièrement par l’État – avec à terme l’obligation de faire entrer leurs données dans le champ public, via un accès par la CNIL et le CESREES –, mais aussi voir leurs efforts valorisés, par exemple lorsque leurs bases de données sont elles-mêmes réutilisées. Il n’existe pas, aujourd’hui, de système permettant de citer officiellement l’utilisation d’une base afin de la rémunérer en retour, comme cela se fait dans le cadre des points SIGAPS. Pourquoi ne pas mettre en place une approche équivalente ? L’on pourrait ainsi créer un cercle vertueux, à la fois en termes de partage de données que de contrôle et de structuration des bases existantes. L’implication des soignants dans la collecte des données sera par ailleurs elle aussi indirectement valorisée, autre point essentiel car, rappelons-le, la constitution de ces bases de données est plus que jamais devenue un devoir éthique.
Le mot de la fin ?
Vous l’aurez compris, au-delà d’être une plateforme sécurisée et à l’état de l’art, un guichet unique pour l’accès aux données de santé et un catalogue de données utilisables pour la recherche et le pilotage, le Health Data Hub se mobilise pour faire avancer la réflexion, en cherchant à débloquer les points identifiés comme critiques afin que, justement, la réutilisation des données secondaires de santé puisse être effectuée à tous les niveaux, y compris sur le plan politique pour nourrir et guider les démarches de santé publique.
Article publié dans l'édition de mai 2023 d'Hospitalia à lire ici.
Quelques exemples de projets de réutilisation des données de santé ayant déjà produit de premiers résultats
• HYDRO : Prédiction de crises cardiaques menant à l’hospitalisation de patients munis de pacemakers
• ORDEI : Création d’une plateforme open data permettant de recenser l’ensemble des déclarations d’effets indésirables des médicaments
• BACTHUB : Mise en évidence du lien entre l'exposition aux antibiotiques et la survenue de bactéries résistantes
• INNERVE : Création d’un outil IA de détection automatique des neuropathies à petites fibres sur les scanners patients
• VYV : Mesurer l’évolution de l’état de santé des populations d’un territoire en corrélation avec les données environnementales
• REXETRIS : Prédire les réponses aux traitements immunosuppresseurs pour adapter les posologies des patients greffés et prolonger la vie des greffons
• TARPON : Analyse des comptes-rendus médicaux des urgences pour prédire les causes médicamenteuses de trauma
• NHANCE : Développement d’un outil aidant à l'interprétation des images en échographie sur tout le ventre
Source : Health Data Hub
• HYDRO : Prédiction de crises cardiaques menant à l’hospitalisation de patients munis de pacemakers
• ORDEI : Création d’une plateforme open data permettant de recenser l’ensemble des déclarations d’effets indésirables des médicaments
• BACTHUB : Mise en évidence du lien entre l'exposition aux antibiotiques et la survenue de bactéries résistantes
• INNERVE : Création d’un outil IA de détection automatique des neuropathies à petites fibres sur les scanners patients
• VYV : Mesurer l’évolution de l’état de santé des populations d’un territoire en corrélation avec les données environnementales
• REXETRIS : Prédire les réponses aux traitements immunosuppresseurs pour adapter les posologies des patients greffés et prolonger la vie des greffons
• TARPON : Analyse des comptes-rendus médicaux des urgences pour prédire les causes médicamenteuses de trauma
• NHANCE : Développement d’un outil aidant à l'interprétation des images en échographie sur tout le ventre
Source : Health Data Hub